WANG YANGMING

WANG YANGMING
WANG YANGMING

Wang Yangming, le plus grand des penseurs de l’époque Ming, a donné tout son développement à une variante du néo-confucianisme proposée d’abord par Lu Jiuyuan (alias Lu Xiangshan, 1139-1193) et connue sous le nom de «philosophie de la conscience» (xinxue ). Sa doctrine est caractérisée par l’intériorisation de la «raison [des choses]» (li ) que Zhu Xi avait identifiée à l’Être absolu. Aussi a-t-elle souvent été présentée comme un exemple chinois d’idéalisme; cependant, la réflexion dont elle part reste tout à fait étrangère à la critique de la connaissance et demeure réflexion sur l’action, dans le droit fil de la tradition confucianiste. De tous les philosophes chinois, Wang Yangming est même celui dont la pensée est le plus étroitement tributaire des expériences de la vie, d’une vie marquée pour lui de toutes les vicissitudes associées à l’activité politique.

Méditation et action

Wang Shouren, plus connu sous le nom de Wang Yangming, une de ses appellations, naquit dans une famille de la haute aristocratie mandarinale du Zhejiang. Son père, reçu premier au concours triennal, fut grand secrétaire du département de la Fonction publique. Lui-même fit preuve d’une rare précocité dans la composition littéraire, tout en affirmant très tôt sa résolution de rechercher avant tout la sainteté. À dix-sept ans, le jour de son mariage, il se rend au temple taoïste le plus proche, y voit un moine en méditation et se met à méditer avec lui en oubliant de rentrer se marier. À vingt et un ans, au cours d’un séjour dans la capitale, il imagine avec un ami de faire l’épreuve de la philosophie de Zhu Xi, qu’il vient de découvrir, en s’efforçant de pénétrer le li (raison d’être) des bambous de son jardin par le seul moyen d’une observation fixe des plantes poursuivie sans relâche des jours durant. N’ayant réussi qu’à se rendre malade, il va désormais se rabattre, déçu, sur les études académiques, non sans revenir épisodiquement au néo-confucianisme, s’instruire accessoirement de l’art de la guerre et se passionner quelque temps pour les techniques taoïstes d’immortalité. Son succès au concours triennal de 1499, après deux échecs en 1493 et 1496, le fait entrer dans la carrière de fonctionnaire; mais il continue d’hésiter entre l’administration, la fuite hors du siècle et la spéculation dans le sens néo-confucianiste, jusqu’à ce qu’un grave coup du sort l’éveille miraculeusement à sa voie. Pour avoir pris parti en faveur de condamnés politiques victimes de leur opposition à l’eunuque Liu Jin qui s’était emparé du pouvoir à l’avènement de l’empereur Wuzong, Wang Yangming est en 1506 muté dans la lointaine province tropicale et barbare du Guizhou. Il y prend ses nouvelles fonctions, dérisoires, en 1508, après un pénible voyage émaillé de tentatives d’assassinat perpétrées contre lui par des sicaires lancés sur ses traces. C’est dans cette extrême adversité qu’une soudaine illumination le jette une nuit hors de son lit, bondissant de joie à la découverte de la nature du vrai savoir. Un peu plus tard, l’eunuque Liu Jin disgrâcié à son tour et exécuté, Wang Yangming est rappelé de son exil. Dès lors, on lui confie des responsabilités, civiles ou militaires, de plus en plus importantes, dans lesquelles il gagne une autorité bientôt considérable en réussissant à réprimer, dans les provinces du Sud-Est, les jacqueries qui se multiplient et en convertissant de nombreux disciples au xinxue (philosophie de la conscience) qu’il prêche désormais avec constance.

La philosophie de la conscience

La révélation qui a touché Wang Yangming en 1508, c’est que le saint doit tirer le vrai savoir de lui-même, et non le quérir dans le monde extérieur. Les contrariétés de la fortune ont manifesté que la vertu de lumière, pour reprendre les termes de l’antique Grande Étude (Daxue ), seule capable d’éclairer la Voie, se trouve tout entière dans la «conscience» (xin, littéralement le cœur) et qu’il n’y a donc pas lieu de distinguer, ainsi que faisait Zhu Xi, la «raison des choses» (li ) comme telle de la conscience que chaque être en a selon sa nature. Comment cette thèse peut-elle se justifier ontologiquement? Wang Yangming au fond s’en soucie peu et se contente d’écarter toute considération de l’être-en-soi. «Si dans l’univers il n’y a pas d’êtres hors de la conscience, quelle relation y a-t-il entre ma conscience et les plantes qui, au fond des montagnes, d’elles-mêmes fleurissent puis perdent leurs fleurs?» objecte un ami; et lui de répondre: «Du moment que ces fleurs échappent à ton regard, ces fleurs et ta conscience retournent ensemble au silence; du moment que tu les vois, leurs couleurs commencent aussitôt à s’éclairer; sache donc que ces fleurs ne sont pas extérieures à ta conscience.» Pourquoi spéculer vainement sur l’être-en-soi alors que nous possédons en nous-mêmes un miroir qui, si nous prenons la peine de le polir pour y faire disparaître les scories de l’égoïsme, nous livre toute la vérité de l’être-pour-nous?

Cette vérité, c’est le sens des relations appropriées entre chaque sujet conscient et tous les autres êtres de l’univers. «La conscience, c’est la raison elle-même; si cette conscience n’est pas obscurcie par les désirs égoïstes, elle est la raison du Ciel, sans qu’il faille la compléter par la moindre [recherche] extérieure. Que l’on prenne cette conscience ramenée à la pure raison du Ciel, qu’on l’applique au fait de servir le père, elle devient piété filiale; qu’on l’applique au fait de servir le prince, elle devient loyauté; qu’on l’applique aux relations entre amis, au gouvernement du peuple, elle devient sincérité et bienveillance.» Il est clair que cette raison absolue, que suffit à manifester le miroir de la conscience, est l’ordre moral, entendu d’une façon beaucoup moins spéculative, beaucoup plus pratique que chez Zhu Xi par Wang Yangming, dont la doctrine est d’ailleurs centrée sur l’idée de l’«unité de la connaissance et de l’action» (zhixing heyi ): connaître le bien et le mal ne se distingue pas de réaliser le bien et éliminer le mal. Quant à l’objection de Xu Ai, remarquant que certains connaissent la piété filiale mais ne la mettent pas en œuvre pour autant, le philosophe la réfute en répliquant que ceux-là n’ont pas la vraie connaissance de la piété filiale, voilée pour eux par l’égoïsme qui coupe l’élan agissant de la conscience. La difficulté de la Voie, c’est de retrouver la pureté de la conscience originelle précisément à partir de ces impulsions vers le bien qui la signalent chez tout homme, si rustre soit-il, nul ne manquant par exemple d’être saisi d’un élan de pitié absolument désintéressé à la vue d’un enfant tombant dans un puits, comme l’avait observé Mencius. La simple vue de plantes brisées, de pierres cassées ne fait-elle pas déjà vibrer la conscience de quelque lueur? En accumulant les actes orientés par une telle lumière, le saint renforce peu à peu celle-ci, qui, dans son plein éclat, prend chez Wang Yangming le nom de «lucidité au bien» (langzhi ). Celui qui, ayant brisé les attaches de l’intérêt, est parvenu à cette lucidité porte sur toute chose un jugement juste, agit en toute circonstance selon la pure spontanéité de l’être: son activité, qui n’a plus rien de forcé, ne se distingue pas du repos; dans l’unité avec tous les êtres de l’univers, il jouit d’une parfaite quiétude, ayant retrouvé en lui-même l’absolu ontologique.

Cet absolu ontologique n’est-il pas au-delà du bien et du mal? «Il n’y a ni bien ni mal dans ce qu’est en substance la conscience», proclame le premier de quatre aphorismes célèbres imputés au Maître par ses disciples; le bien et le mal n’apparaîtraient qu’en deçà de l’illumination, au niveau du perfectionnement par les bonnes œuvres. Aussi Wang Xinzhai († 1540), initiateur du plus important des très nombreux courants dérivés de la «philosophie de Wang (Yangming)» (Wangxue ), se rapproche-t-il du chan en déformant en pur spontanéisme l’ascèse du retour aux impulsions profondes de la conscience, au point d’ôter toute signification aux impératifs moraux. Cette déviation vers le bouddhisme empêchera la pensée de Wang Yangming de rester influente lorsque, sous les Qing, l’exégèse confucianiste ne s’appliquera plus qu’à la restitution intégriste de l’esprit des canons primitifs.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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